De mémoire de tifosi italien, pour retrouver une Scuderia Ferrari aussi impériale dès le début de saison, il faut remonter loin dans les souvenirs. Près de vingt ans en arrière ! se rappelleront même les plus fervents supporteurs : en 2004, quand Michael Schumacher écrasait la concurrence, talonné par un Rubens Barrichello des grands jours. Aujourd’hui, c’est au tour de Charles Leclerc, 24 ans, de ramener le cheval cabré italien au sommet de la Formule 1, remportant en Australie le 10 avril dernier sa deuxième victoire de l’année, sur trois grands prix disputés. Et voilà qu’a lieu le Grand Prix d’Imola, en Italie.
Si dans les paddocks Ferrari à Melbourne la joie a été totale, du côté de Maranello, à 16 000 kilomètres de là, l’ambiance n’était pas des moindres. De l’écurie (dont l’usine fête cette année ses 75 ans), au cœur de la Motor Valley d’Émilie-Romagne, la victoire du Monégasque a été saluée à grand renfort de klaxons et au son des cloches de l’église du curé tifosi don Marco Bonfatti. « Merci Ferrari », exulte le maire de la ville, après le succès de ce fleuron local, pourvoyeur d’une manne touristique vitale. Au-dessus de l’entrée des bureaux de verre du « Sports Management », des employés du constructeur italien se sont empressés de hisser une deuxième bannière du Cavallino Rampante pour célébrer ce nouveau podium.
La patience paie
Un départ canon pour cette saison 2022 qui, course après course, ranime chez de nombreux passionnés de la marque italienne la flamme quelque peu endormie. « Après des années de jeûne, notre chère Ferrari recommence enfin à nous faire rêver ! » s’enthousiasme Benedetto Catalani, président du petit mais fervent Scuderia Ferrari Club de Norma, bourgade de la campagne du Latium. Il fallait juste un peu de patience : « L’histoire de la Formule 1 nous enseigne que chaque équipe a des moments de gloire et des moments sombres. » Mais un vrai tifosi italien, lui, « ne doutera jamais de la mythique Ferrari », assure Benedetto Catalani.
Pourtant, ces dernières années, les contre-performances répétées de La Rossa auraient pu en lasser plus d’un. Quinze ans que les supporteurs attendent un titre depuis le sacre de Raikkonen en 2007 (et 2008 pour le titre constructeur). En vain. Ferrari est à la traîne, reléguée aux rôles de figuration, dans l’ombre des McLaren et Red Bull. En 2019, l’écurie et le moteur de sa monoplace finissent dans le viseur de la FIA, puis viendra 2020, l’annus horribilis pour la marque reléguée à la sixième place du classement constructeurs : son pire résultat depuis 40 ans. « Nous avons tous souffert pour la Ferrari », rappelait récemment en conférence de presse Angelo Sticchi Damiani, le président de l’Automobile Club d’Italie. Et de rappeler la tempête de critiques qui s’est abattue contre le team manager, Mattia Binotto, un temps « considéré comme la ruine » de la marque.
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La direction du groupe, elle, va renouveler sa confiance au technicien italo-suisse. Et en coulisses, à Maranello, les ingénieurs et techniciens travaillent d’arrache-pied pendant deux ans pour redorer le blason du cheval cabré. Des usines d’Émilie-Romagne sortira en février 2022 une F1-75 taillée pour gagner, portée par une écurie qui, mieux qu’aucune autre de ses rivales, va savoir s’adapter aux nouvelles règles (du retour de « l’effet de sol » au passage aux pneus 18 pouces) venues bouleverser la hiérarchie de la F1. La dernière-née des monoplaces italiennes est « une bête », estime Charles Leclerc. Dès les premiers tours de test à Bahreïn, Giorgio Terruzzi, fin connaisseur de la F1 du Belpaese, assure entrevoir « une histoire humaine et technique qui contient et dégage une fierté enfin dans la lignée de la tradition Ferrari ». Un « désir de mettre fin aux humiliations, ajoute la plume du Corriere, pour relancer un rêve rabougri ».
Fièvre rouge à Imola
Désormais chez Ferrari, les regards se tournent vers Imola, l’étape « à domicile » du Championnat du monde, à moins de 70 kilomètres des bureaux de Maranello. Galvanisés par les dernières victoires de l’écurie italienne, les fans ne manqueront pas à l’appel : en plus d’audiences télé annoncées comme records, 120 000 billets ont été écoulés pour ce week-end de F1 (vendredi début des qualifications, un sprint inédit le samedi et la course le dimanche) autour du circuit Enzo et Dino Ferrari. Une véritable « fièvre rouge », annonce la presse nationale. De quoi célébrer en grande pompe le retour du public sur les rives du Santerno après seize années d’absence, entre déprogrammation du calendrier mondial et pandémie de Covid.
Quoi qu’il arrive pendant la course, Charles Leclerc sait qu’il repartira d’Émilie-Romagne toujours en tête du classement. Mais du côté de Ferrari, habitué aux revers de médaille ces dernières années, on veut rester particulièrement prudent et prévenir tout excès de confiance. « Le championnat est encore long », souligne le patron de l’écurie, Mattia Binotto. Les nerfs des tifosi de la Scuderia n’ont donc pas fini d’être mis à rude épreuve jusqu’au 20 novembre, date du dernier grand prix à Abou Dhabi. Aux Émirats, on rêve d’un doublé magistral aux classements pilotes et constructeurs pour rasseoir la marque made in Maranello sur le toit du monde de la F1. De quoi au moins faire oublier aux amoureux du sport transalpin que, dès le lendemain, chez le voisin qatari, on donnera le coup d’envoi de la Coupe du monde de football… sans l’Italie.